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Laurent Geslin est photographe professionnel spécialisé dans les sujets liés à l'environnement depuis une vingtaine d'années. Depuis des années, il connait la plupart des grands félins de sa région du Jura Suisse. Il n’y a pas de film sur le lynx. Grâce aux observations pendant 9 ans du réalisateur, une histoire s’est construite autour d’une famille de lynx. Elle raconte la nature de manière spectaculaire, y compris dans sa dureté. C’est aussi un spectacle familial qui porte un engagement fort sur la préservation de la nature. L’attachement aux félins est ici total tandis que l’utilité de l’espèce est parfaitement démontrée. Rencontre avec le réalisateur. 

 

Mercredi 19 janvier est sorti en salle votre film « Lynx ». Comment vous est venue cette idée de long métrage ?

J’ai d’abord commencé par prendre des photos, ce qui m’a permis d’obtenir pas mal d’informations sur l’animal en tant que tel, que je ne connaissais pas forcément au début. Et puis une fois ce premier livre réalisé, je me suis lancé dans l’aventure de filmer l’animal, c’est la première fois que ça se faisait. En règle générale, les films utilisent des animaux captifs ou dressés. Là c’était vraiment l’aventure, puisque ce n’était que des animaux filmés dans ma région.

 

C’est pour cette raison que vous le spécifiez à la fin du film ?

Oui, je crois que le grand public ne réalise pas vraiment, à juste titre, parce que ce n’est pas forcément bien explicité dans les documentaires ou dans les films. Mais des espèces sont extrêmement difficiles à filmer ou photographier, et par conséquent certains réalisateurs ou certaines productions préfèrent utiliser des animaux captifs de façon à économiser de l’argent et du temps. Et à la fin on a dans le générique, très rapidement, une mention qui stipule et remercie les dresseurs, mais en aucun cas ce n’est très clair pour le spectateur, seul les naturalistes ou les gens qui ont un peu l’habitude savent que ce sont des animaux qui ont été dressés et déplacés devant la caméra.

 

D’où vous vient cet amour pour ce félin ?

Je pense que d’abord, j’ai un amour pour la nature d’une façon générale depuis tout gamin. J’étais absolument passionné et fasciné par les forêts depuis tout petit. Je viens de Bretagne, et j’ai vraiment passé énormément de temps à écouter le brame du cerf, les engoulevents, notamment chez ma grand-mère, dans la forêt de Brocéliande. J’ai aussi eu la chance de travailler en tant que photographe animalier dans différents pays. J’ai eu la chance de photographier des grands félins en Amérique du Sud, en Afrique, ou encore en Asie. Et quand je suis arrivé dans le Jura, je souhaitais au moins un jour pouvoir observer le lynx boréal, que je savais très dur à observer. Et au fil des années, mon intérêt pour cet animal est devenu une véritable passion, parce que j’ai commencé à connaître certains individus. J’ai commencé à pouvoir les suivre, et j’ai même raconté une histoire dans le film.

 

« La forêt est son royaume », c’est un peu devenu le vôtre aussi, après toutes ces années passées à le pister, à l’observer, vous avez appris à le connaître, à déchiffrer son mode de vie, à analyser son environnement. Pour avoir la chance de le rencontrer davantage que la plupart des autres gens, c’est un travail de longue haleine que vous avez dû mener, avec une persévérance et une détermination assez remarquable.

Oui c’est un projet très long. J’ai commencé il y a douze ans, c’est presque un quart de ma vie en quelque sorte ! Mon fils a 12 ans d’ailleurs, j’ai commencé quand mon fils est né. Je dis souvent qu’on ne connaît pas « les lynx », mais on connaît « des lynx ». C’est-à-dire qu’on a une connaissance assez approximative de l’espèce, et ensuite on commence à connaître les habitudes de certains individus. Et quand on les reconnaît, on sait s’il va plutôt aller vers la falaise où il y a des chamois, ou s’il va plutôt descendre selon les saisons, selon les périodes qui sont importantes pour lui. Comme la période de reproduction dans laquelle nous sommes en train de rentrer, parce que c’est entre février et mars. En ce moment, c’est une période cruciale pour l’animal. Et bien connaître certains individus me permet de bien me positionner dans la forêt pour soit l’écouter, soit l’observer.

 

Ce film, c’est 1h24 d’immersion en pleine forêt, que ce soit par les bruitages, le silence parfois aussi, les paysages splendides, et ces successions de plans qui s’enchaînent superbement bien, créant une histoire entre différentes espèces animales. Lors de toutes ces années que vous avez passées en forêt, vous avez aussi côtoyé de nombreux autres animaux que l’on voit apparaître dans ce film.

Effectivement, le son a été fait par Boris Jolivet, un audio-naturaliste, avec qui j’ai travaillé main dans la main pour habiller mes images. Avant j’avais enregistré pas mal de son déjà, mais je n’avais pas les bons micros de Boris à disposition. Par conséquent, cette immersion, c’est vraiment la volonté qu’on avait. On voulait que les gens s’assoient, et rentrent avec moi dans cet univers pour écouter la mésange noire, le cri du lynx, et plein d’autres espèces, et c’est vraiment notre première volonté, qui est de partager cette ambiance assez incroyable qu’est la forêt du Jura. Et puis au fil de l’histoire, on se rend compte qu’il n’y a pas que le lynx dans la forêt du Jura. Il y a des espèces emblématiques qui sont malheureusement des espèces très fragiles. On parle du grand tétra, ou de la gélinotte des bois, qui sont des oiseaux très discrets, très difficiles à observer, et qui sont de très bons indicateurs pour savoir si la forêt est en bonne santé par exemple.

 

On a aussi des plans sublimes dans ce film, des scènes incroyables. Cette rencontre entre un chat sauvage et un renard, le moment où vous observez enfin le père et la mère lynx ensemble après de longs mois, cette dépouille de chamois traînée difficilement dans la neige par un lynx, ces petites gélinottes qui viennent à peine d’éclore dont l’une a encore la coquille sur la tête, ou encore ces jeunes chamois qui sautillent sans cesse, et les adultes qui ont toujours quelque chose de coincé dans leurs cornes. Vous avez dû vivre des moments très forts, c’est un privilège d’assister à tout ça ?

Je suis ultra privilégié. Si je vois le lynx 8 à 10 fois par an, c’est déjà une très belle année. Et il y a aussi des moments où je ne le vois qu’une fois tous les 6, voire 8 mois. C’est très long. En revanche, pendant ce temps-là, je suis témoin de scènes sauvages extrêmement rares. La gélinotte, un oiseau nidifuge, c’est-à-dire que dès l’éclosion des poussins, ils quittent le nid rapidement, donc c’est un moment très furtif dans l’année. Trouver le nid déjà, c’est une belle prouesse, et réussir à assister à la naissance des poussins fraîchement éclos, ce sont des moments tout à fait privilégiés.

 

Cette scène où une dame se promène avec son enfant, et tombe nez-à-nez avec un lynx en train de dévorer une carcasse, c’est assez irréel comme scène !

C’est complètement irréel, et cette scène a deux histoires ! Parce qu’il y a d’abord un monsieur qui est passé. Et ce monsieur, lorsque j’étais en train de filmer, ne regardait pas du tout le lynx, et il s’en est approché, d’un pas assez déterminé. Lorsqu’il est arrivé à 5 ou 6 mètres du lynx, j’ai eu peur que l’animal se sauve, mais en réalité le lynx est resté sur sa proie, et ce monsieur, le voyant au dernier moment, a fait un bond extraordinaire ! On aurait dit une bande dessinée. Évidemment je voulais mettre cette scène dans le film car elle est exceptionnelle, mais malheureusement le monsieur est très vite parti, et par conséquent je n’avais pas le droit à l’image, et je ne l’ai jamais retrouvé. J’ai ensuite attendu un peu plus longtemps, et j’ai prévenu ma femme et mon fils. Mon fils n’était pas prévenu, mais ma femme savait qu’il y avait un lynx sur le chemin. Ils se sont rendus sur place pour recréer cette scène qui était vraiment importante pour moi, parce qu’on voit très clairement que l’animal n’est absolument pas dangereux pour la population.

 

Dans ce film, un focus est fait sur les accidents de la route, qui est la première cause de mortalité des lynx en France. On en a beaucoup entendu parler l’année dernière en Franche-Comté, car ces jeunes félins doivent partir à la conquête de leur propre territoire en traversant des zones à risque. Vous posez d’ailleurs la question « est-ce que le territoire des lynx est traversé par des routes, ou est-ce les routes qui sont traversées par le territoire du lynx ». Aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?

La population de lynx dans le Jura est d’environ 150 individus adultes. On sait très bien, et par définition il n’y aura jamais trop de prédateurs, puisqu’il y a une superficie donnée avec un nombre de proies qui est disponible ou pas. Actuellement, nous sommes dans une situation où la population, sur le plan numérique, se porte correctement. Cependant les territoires sont presque tous déjà occupés. Ce qui veut dire que les jeunes qui vont quitter leur mère vont devoir trouver des nouveaux territoires, qui peuvent être à plusieurs centaines de kilomètres. On a les Vosges, la Forêt Noire, éventuellement le nord des Alpes. Mais on a des zones industrielles, des zones agricoles, des routes, qui vont empêcher la dispersion de ces jeunes. Ce qui veut dire qu'on va très probablement, ces prochaines années, et c’est même déjà le cas, se retrouver avec des jeunes qui vont se faire écraser puisqu’ils traversent des zones dangereuses afin de trouver de nouveaux territoires.

 

Le lynx avait disparu d’Europe occidentale à la fin du 19ème siècle. Aujourd’hui il a été réintroduit, permettant aux forêts de ressusciter et de retrouver un équilibre. Vous tenez dans votre film à remercier les acteurs du passé, sans qui cette histoire n’aurait pas eu lieu. Vous faites référence entre autres à Archibald Quartier. Maintenant c’est à votre tour, par le biais de votre travail, d’agir et de sensibiliser, de prouver au grand public le rôle fondamental des prédateurs, et du retour du lynx dans les forêts du Jura ?

Je me suis intéressé à cet animal il y a douze ans. Et je sais que malheureusement au début des années 2000, dans les Vosges, le grand public ne savait pas que le lynx existait. Il y avait eu une campagne de réintroduction au début des années 1980, mais malheureusement il y a eu du braconnage systématique. Par conséquent les lynx ont disparu des Vosges, mais comme le grand public ne savait pas que le lynx habitait cette région-là, il n’y a pas eu de réaction, et sa disparition est survenue dans l’anonymat le plus total. Mon but à moi, c’est de montrer au très grand public que cet animal existe dans le Jura, qu’il joue un rôle primordial, et que si un jour il venait à disparaître à nouveau, ce serait une véritable catastrophe écologique et patrimoniale sur le plan naturel.

 

La quête du lynx vous a-t-elle amené au-delà de votre rêve d’enfant ?

Le lynx, je vais continuer à le suivre, parce qu’il y a des individus que je connais, et que j’ai envie d’observer. Je mets des pièges photos pour savoir pas où ils passent, pour savoir dans quel secteur ils sont, et à quelle période. Et puis, c’est une très belle histoire. J’ai commencé à faire de la photo, puis j’ai filmé pour des documentaires. Ensuite on m’a proposé de réaliser un film cinéma, et visiblement le public était présent puisqu’on a fait des avant-premières où l’on a dû refuser du monde, et je m' excuse. On a eu un très bel écho, je suis très content du résultat, et si ça peut servir à la conservation de l’animal je n’en serai que plus heureux. 

 

Synopsis du film : 

"Au cœur des montagnes jurassiennes, alors que les brumes hivernales se dissipent, un appel étrange résonne à travers la forêt. La superbe silhouette d'un lynx boréal se faufile parmi les hêtres et les sapins. Il appelle sa femelle. Un couple éphémère se forme. C’est le début de l’histoire d’une famille de lynx. Leur vie s’écoule au rythme des saisons avec la naissance des petits, l’apprentissage des techniques de chasse, la conquête d’un territoire, mais aussi les dangers qui les guettent. En suivant le mâle, la femelle et ses chatons, nous découvrons un univers qui nous est proche et pourtant méconnu... Une histoire authentique où chamois, faucons pélerins, renards et hermines sont les témoins de la vie secrète du plus grand félin d'Europe. Prédateur indispensable à l’équilibre de la forêt, sa présence demeure néanmoins fragile dans un milieu largement accaparé par les humains. S’il est rarissime de croiser ce discret félin il est exceptionnel de découvrir son quotidien en milieu naturel."