Le 8 septembre prochain s’ouvrira devant la cour d’assises du Doubs le procès de Frédéric Péchier, ex-anesthésiste de 53 ans, accusé de 30 empoisonnements présumés, dont 12 mortels. Le procès, prévu jusqu’au 19 décembre, s’annonce comme l’un des plus longs et complexes de ces dernières années. Ce dimanche, Maître Randall Schwerdorffer et le journaliste bisontin Willy Graff étaient les invités d’« Affaire suivante » sur BFM TV, l’émission consacrée aux affaires judiciaires. Ils y ont évoqué notamment les enjeux d’équité du procès, la place des victimes et la préparation de la défense.
Chronologie judiciaire
L’affaire débute en 2017, lorsque plusieurs incidents médicaux « graves et concordants » surviennent. Très vite, les soupçons se portent sur l’anesthésiste Frédéric Péchier, accusé d’avoir manipulé des produits injectés à des patients. En 2019, le médecin est mis en examen une première fois pour sept cas d’empoisonnements présumés. Quelques mois plus tard, l’information judiciaire s’élargit à vingt-quatre nouveaux cas, dont celui particulièrement marquant d’un enfant de quatre ans. Malgré la gravité des faits reprochés, il évite la détention provisoire et reste placé sous contrôle judiciaire. Deux ans plus tard, en 2021, sous le poids de la procédure et de l’exposition médiatique, Frédéric Péchier est hospitalisé d’urgence après une tentative de suicide.
Le dossier connaît un nouveau tournant en septembre 2023 : l’ancien anesthésiste est cette fois mis en examen pour trente empoisonnements au total, dont douze mortels. Le parquet de Besançon, en mai 2024, requiert son renvoi devant la cour d’assises, l’accusant d’avoir empoisonné des patients en bonne santé dans le but de nuire à ses collègues. Trois mois plus tard, en août 2024, les juges d’instruction confirment cette orientation en signant l’ordonnance de mise en accusation. Le procès de Frédéric Péchier doit se tenir du 8 septembre au 19 décembre 2025 devant la cour d’assises du Doubs. Trois mois d’audience seront consacrés à l’examen de ce dossier hors normes, l’un des plus longs et complexes de ces dernières années, où se joueront à la fois la quête de vérité des victimes et l’équilibre des droits de la défense.
L’équité au cœur du débat
Au cours de ce dimanche, la défense a dénoncé une disparité de moyens : environ 40 000 € pour la défense contre plus d’1 M€ pour les parties civiles. Maître Randall Schwerdorffer s’est interrogé sur la capacité de juger « à armes égales » dans un dossier aussi technique et tentaculaire ? Dans ce contexte, il a été dénoncé la non-acceptation d’une solidarité financière entre parties civiles et défense, qui « aurait permis de rétablir un certain équilibre ».
Un marathon judiciaire
Trois mois d’audience : le rythme imposera une véritable épreuve d’endurance à toutes les parties. Chaque matin, Frédéric Péchier devra se présenter, répondre aux questions, affronter les regards, alors que pèse sur lui la menace d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Son entourage le décrit comme un homme préparé mais fragile, conscient que sa vie pourrait basculer définitivement à l’issue de ce procès. Pour lui, qui vit libre depuis 2017, une condamnation assortie d’incarcération constituerait un choc immense.
Les victimes au premier plan
Derrière les chiffres – 30 empoisonnements, 12 décès – il y a des visages, des familles, des vies bouleversées. Certaines victimes ou proches vivent encore aujourd’hui avec des séquelles physiques et psychologiques. Toutes expriment une soif de vérité. Pour beaucoup, la question de la culpabilité de Péchier ne fait plus de doute ; pour d’autres, c’est avant tout le besoin de reconnaissance et de réparation qui domine.
Une affaire emblématique
Le procès Péchier dépasse le cadre d’une simple affaire criminelle. Il met en lumière : la vulnérabilité des patients face à des soignants en position de pouvoir, les limites du système judiciaire lorsqu’il s’agit de procès techniques et longs et les inégalités persistantes entre la défense et les parties civiles. Entre doute judiciaire et certitude morale, ce procès sera avant tout celui de la vérité et de la mémoire des victimes.
L’avocat bisontin Randall Schwerdorffer publiait son troisième ouvrage mercredi dernier. Intitulé « Itinéraire d’un avocat hors norme », ce livre revient sur dix affaires criminelles qui ont secoué la région, et parfois même la France entière. On y retrouve l’assassinat d’Aurélia Varlet, la disparition de Narumi Kurosaki ou encore la célèbre affaire Jonathan Daval. La rédaction s’est entretenue avec l’avocat bisontin, qui nous explique les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre.
Bonjour Me Schwerdorffer. Le 25 octobre dernier sortait votre nouvel ouvrage « Itinéraire d’un avocat hors norme ». Quelles sont les raisons qui vous ont amené à écrire ce troisième livre, et comment le présenteriez-vous ?
"Les raisons sont multiples. D’abord le plaisir d’écrire et de partager l’expérience que sont les affaires criminelles. Il y a beaucoup de choses à tirer de chaque affaire criminelle, beaucoup d’enseignements. J’ai même un détenu qui m’a dit il n’y a pas longtemps : « Si j’avais lu votre premier livre, je n’aurais peut-être pas tué ma compagne ». Vous voyez, comme quoi ça provoque des réflexions. Et c’est passionnant. Deuxièmement, c’est aussi l’occasion de faire un constat de ce qui se passe dans les tribunaux. Sur la façon dont les affaires sont jugées. C’est l’occasion de dénoncer certaines choses, notamment certaines dérives sociétales. Et enfin, l’occasion de donner la parole à d’autres avocats, qui comptent beaucoup au niveau régional, qui sont très compétents, mais qu’on ne voit jamais sur les plateaux de télévision."
Vous parlez sans doute de Me Bruno Nicolle, qui a réalisé une préface, ainsi que Me Jean-Marc Florand, à la postface ?
"Exactement. Pour avoir leur vision du métier, pour avoir parfois leur analyse. Mais également d’autres confrères à qui on a posé des questions, et qui ont répondu en toute liberté, en donnant leur avis, et ce sont des confrères avec qui je travaille, donc que je connais. Ce sont des vrais professionnels de la Cour d’Assises. Parfois sur les plateaux télés on voit des gens parler d’affaires criminelles mais qui ne savent même pas ce que c’est. Là , on a des gens plongés du soir au matin dans des affaires criminelles."
Dans votre livre, on retrouve de très nombreuses affaires criminelles justement. C’était important pour vous, des les relater en apportant votre expérience et votre vécu ?
Oui. C’est important, parce que toutes ces affaires ont été suivies dans la presse au niveau régional, voire certaines au niveau national. Et je ne donne pas l’éclairage du journaliste. Je donne l’éclairage de l’avocat de la défense, avec mon analyse d’avocat de la défense, avec du recul sur l’affaire et le procès.
Les premiers chapitres de ce livre sont consacrés à différents types de crimes. Il est important, aujourd’hui, se savoir bien faire la distinction ?
Pour nous, beaucoup d’avocats pénalistes, on considère qu’on doit continuer à distinguer les mobiles qui conduisent une personne à passer à l’acte criminel. Que ce soit une femme ou un homme. On est très conscients qu’aujourd’hui, dans la société, on refuse cette discussion. Il y a une espèce de censure sur certaine discussion qu’on peut avoir. On veut tout englober dans le terme féminicide. Sans aucune analyse particulière, et c’est grotesque. Parce qu’il y a plusieurs types de mobiles qui conduisent au crime. Récemment, on a plaidé dans une affaire où on était partie civile. Un homme a tué sa femme en simulant un suicide, pour percevoir l’assurance vie, et pour mettre à sa place sa maîtresse. Ici, le mobile est crapuleux, il est extrêmement lourd. Ce n’est pas du tout le même mobile qu’un crime pulsionnel. On pense qu’il est vraiment fondamental de distinguer ces mobiles, et de ne pas tout englober dans un seul mobile générique.
L’éditeur Franck Spengler vous a accompagné dans l’écriture de ce livre, en rédigeant votre interview en avant-propos. Pourquoi ce choix ?
C’est son propre choix. La Maison Hugo, c’est beaucoup de livres aujourd’hui en lien avec la justice. Notamment un livre remarquable qui est sorti concernant les procureurs de la République qui s’expriment, sous couvert d’anonymat. Et dans mon livre, l’idée de mon éditeur était de commencer par mon interview, en expliquant pourquoi ce livre, pourquoi ce titre, qui d’ailleurs ne me convenait pas au début. C’est une interview vérité, qui était intéressante.
Où et comment se procurer cet ouvrage ?
Il est actuellement en rupture de stock, mais en réimpression. Il était édité à 8000 exemplaires et tout est parti. Aujourd’hui, mon éditeur m’a fait savoir qu’il était réimprimé, et que d’ici une petite semaine, ça devrait aller mieux. On pourra se le procurer un peu partout.
« L’histoire elle est fidèle à la réalité, en partie, mais moi je ne m’y retrouve pas. Il y a plusieurs angles pour aborder l’affaire Daval, et c’est vrai que les avocats avec qui j’ai échangé ne retrouvent ni l’ambiance, ni le rôle qu’on a pu avoir. Rien de tout ça. C’est tellement axé sur les enquêteurs, c’est assez éloigné de notre réalité » souligne Randall Schwerdorffer. L’avocat bisontin n’a pas tort, car dans cette affaire ultramédiatisée, prenant une ampleur nationale et aboutissant sur un procès hors-norme, l’implication des avocats a été plus que déterminante. Lors de chaque moment clé, ils étaient présents, et ont parfois joué un rôle décisif. « Nous avons pesé toutes nos forces sur le dossier, et ça ne se voit pas. Lors de la confrontation, on ne voit pas le rôle et le travail de Jean-Marc Florand, ni celui de Me Spatafora. La reconstitution, c’est à peine éludé. Le travail que l’on a effectué durant la garde à vue avec Me Spatafora ne ressort pas du tout [...] On a voulu mettre en lumière les gendarmes, pourquoi pas, c’est une façon de voir les choses. Mais c’est un peu restrictif je trouve » poursuit Me Schwerdorffer. Pour appuyer les dires de l’avocat bisontin, deux personnages ont même été inventés de toute pièce : le Capitaine Dacosta, joué par Thierry Neuvic, et l’adjudant-chef Magali Paulin, interprétée par Vanessa Guide.
« Je ne sais pas trop quoi dire, c’est un sentiment un peu étrange, aucun des intervenants de cette affaire n’a participé au téléfilm. On n’est pas intéressé par ça. Mais je l’attendais, je voulais voir la façon dont c’était tourné, dont c’était appréhendé. Et effectivement, je me demande si ce n’était pas encore trop tôt pour le regarder » indique Randall Schwerdorffer. Pour rappel, le procès s’est ouvert le lundi 16 novembre 2020 et s’est conclu cinq jours plus tard. Moins de deux ans se sont écoulés entre temps. Et les cicatrices sont encore loin d’être toutes refermées. Martine Henry, la mère de Jonathann Daval, avait déjà fait part de son désarroi en novembre 2021, lors de l'acquisition par Gaumont des droits du livre « Alexia, notre fille », écrit par les parents de la victime, afin de réaliser une série en six épisodes. « Jonathann n’est pas d’accord avec ce film. Il a été jugé, qu’on le laisse en paix ! » avait clamé la mère de Jonathann. Plus récemment, dans les colonnes de nos confrères de l’Est Républicain, Martine Henry déplorait cette fiction de TF1. « Je voudrais être débarrassée de tout ça, qu'on en parle plus. Tous ceux qui font leurs peines pour des choses très graves comme Jonathann. Il faut les laisser tranquilles. Plus on parle de leurs affaires, plus ça leur porte préjudice en prison […] On n’avait pas envie que cela se fasse, mais on n'a pas eu le choix. Ça va encore tout remuer, on n'a pas besoin de ça. Il faut dire que ça fait mal aux familles ».
Autre omission du téléfilm selon le célèbre avocat bisontin : l’ambiance générale qui a gravité autour de cette affaire. « Je pense que je suis un très mauvais spectateur. J’ai vécu l’affaire, je n’ai pas retrouvé l’ambiance. C’est complétement incroyable, tout était dingue. Il y avait une ambiance électrique, phénoménale, à tous les moments de la procédure. Que ce soit la reconstitution, la confrontation, l’audition, la garde à vue. Je n’ai pas retrouvé cette ambiance hors norme qu’il y avait dans l’affaire. Je pense que je la recherchais, je pense que tous les intervenants la recherchaient, sans la trouver. C’est peut-être trop difficile à traduire aujourd’hui, sans doute parce que c’est encore trop tôt pour ce téléfilm ». En se faisant l’avocat de la production de TF1, il est parfois plus délicat de transmettre des émotions et d’implanter une ambiance à travers un écran, que lorsque l’on a vécu la situation soi-même, durant plusieurs années, plongé dans une atmosphère intense. Cependant, il est vrai que certains moments cruciaux et révélateurs manquaient parfois de sincérité, de spontanéité et de profondeur. Mais ce téléfilm reste avant tout une fiction romancée.